Le mal-être au travail, on en parle?
On parle de plus en plus du bien-être au travail, et tant mieux si ça contribue à améliorer le sort de millions de personnes.
C’est une tendance de fond, qui va continuer à se développer, mais elle ne se règle pas juste avec un babyfoot ou par la création d’un poste de Happiness Manager. Trop souvent, il s’agit de marketing cosmétique pour améliorer sa marque employeur. Mais tous ces effets d’annonce qui séduisent les candidats doivent correspondre à la réalité vécue au quotidien.
J’ai l’occasion, dans le cadre de mes fonctions, de croiser beaucoup de salariés qui travaillent dans de grands groupes nationaux ou mondiaux.
Ce que j’ai pu constater, c’est que bien souvent dans ces grandes entreprises qui promettent des carrières fabuleuses et mettent en place des process de recrutement ressemblant à des parcours du combattant, les salariés ressentent plutôt un mal-être au quotidien.
Le rêve des jeunes diplômés
Pourquoi cet attrait ? La plupart des diplômés rêvent de « faire carrière » dans un grand groupe. Poussés par leurs parents qui sont rassurés et par les enseignants qui y voient une reconnaissance du prestige de leur école 😉 Et puis les avantages sociaux sont nombreux !
Mais il ne suffit pas d’avoir des tickets resto ou des RTT pour s’épanouir dans son travail.
D’autant plus qu’une carrière professionnelle est longue et que les nouvelles générations sont en quête de sens, de reconnaissance, de nouveauté et d’apprentissage permanent.
Or, dans les grands groupes, tous les postes sont déjà distribués, et comme la cantine est bonne, on s’accroche à son poste. Ainsi, beaucoup de cadre savent qu’ils ne retrouveront pas un tel niveau de poste ailleurs dans les mêmes conditions, ce qui bloque la mobilité, et donc les opportunités pour les jeunes.
Les pauvres, ils vont devoir attendre, longtemps, très longtemps. On leur explique que « moi aussi, j’ai dû patienter pour y arriver ». Le problème, c’est que les jeunes ne pensent pas de la même façon.
Ils veulent vivre des expériences. Les réunions à n’en plus finir, ne pas avoir de retour à leurs questions car c’est toujours un autre service qui mettra plusieurs semaines ou mois à trancher… Ils n’en veulent pas !
La joie des grands groupes
Ne pas pouvoir influer sur le cours de l’entreprise car les décisions sont prises en réunion, ou en dehors des réunions (c’est la politique 😉 )… On dira que « ON a bien travaillé » quand ça avance, mais que « TU t’es trompé » quand il y a un problème, quand ce n’est pas le p’tit chef qui en profitera pour valoriser son travail, et donc son futur avancement.
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Ça, globalement c’est quand ça se passe normalement car il y a aussi les guerres internes. Les services qui ne veulent pas que les autres avancent car ça ne les valorise pas ; les chefs qui font bonne figure mais qui sont rivaux… Ils veulent évoluer, et pour cela il faudra éliminer les autres ou leur glisser une peau de banane. Motiver des équipes à se tirer la bourre, c’est aussi une méthode de management, mais pas la peine de vous dire ce que j’en pense 🙂
Quant aux équipes support, elles n’ont de support que le nom, car au quotidien ce sont les autres qui sont à leur service, qui doivent se caler sur leurs contraintes, et Dieu sait si elles en ont !
Les équipes support expliquent que c’est normal, qu’il y a tellement de monde qu’il faut mettre en place des procédures. Elles en rajoutent en permanence : c’est un peu comme l’Assemblée Nationale, chacun y va de sa petite règle supplémentaire. En définitive, c’est le salarié qui perd du temps et de l’énergie, alors que c’est lui qui doit créer la richesse de l’entreprise !
Et les RH dans tout ça ?
Quant aux RH, il n’y a plus grand chose d’humain dans les missions, des entretiens à la chaîne quand ils sont fait, pas de retours ensuite, et une prime ou augmentation qui arrive comme ça (quand elle arrive) sans véritable explication.
Quelques exemples de la vraie vie
Un parcours personnalisé et le recrutement pas nécessaire
Une amie qui débute dans un grand groupe et qui suit le programme « jeunes cadres à potentiel » vient de vivre sa désillusion. On leur a promis un parcours individualisé, avec beaucoup d’attentions et des évolutions spécifiques en rémunération selon les investissements de chacun. Résultat : elle a eu une prime inférieure à ce qui lui avait été promis en début de parcours. Lorsqu’elle a demandé si l’entreprise n’était pas contente de son travail, on lui a répondu : « si super, mais pour la prime on a préféré donner la même chose à chacun, y compris ceux en difficulté ». En fait c’est comme à l’école des Fans, tout le monde gagne.
Mais ceux qui se mobilisent le plus n’ont rien de plus. Comme lui ont dit ses collègues « tu vois ça ne sert à rien d’en faire plus que nous ». Quelle erreur managériale ! Comment casser les pattes de ceux veulent avancer ! Peut-être qu’en fait c’est volontaire, il ne faudrait pas que ça avance trop, ça pourrait faire de l’ombre à certains. On touche du doigt l’un des problèmes de certains groupes : lorsque les cadres ralentissent la machine.
On assiste également à un autre problème plus général : le management et le temps nécessaire pour le faire. Dans ce cas-ci, la salariée est retournée voir sa cheffe pour avoir des explications, elle lui a répondu que ça allait plus vite comme ça, il n’y avait pas trop de temps à passer pour refaire des retours à chacun. Donc en définitive pas de véritable feed back de la part du manager et aucune reconnaissance accordée pour la salariée.
C’est dommage, ce sont deux éléments dont les jeunes sont friands pour avancer.
Et que dire cet épisode pour le recrutement d’un alternant ? Sa cheffe lui dit qu’elle va devoir choisir un alternant pour renforcer son poste. Elle lui explique qu’elle n’en n’a pas besoin car elle manque déjà d’activité, mais sa cheffe le lui impose en expliquant que les résultats sont bons, pas la peine de faire des économies, ils ont toujours eu un alternant dans le service (ils travaillent dans un service de contrôle de gestion 🙂 ). La jeune a beau expliquer à sa cheffe que c’est dommage de gaspiller, et que ça va donner l’image que « l’on glande dans le service », on lui impose tout de même la personne.
Heureusement que nous sommes sur un accompagnement spécifique de jeunes cadres prometteurs ! On n’ose pas imaginer le temps consacré pour un salarié qui est là depuis longtemps et que l’on ne considère plus comme prometteur !
La joie des réunions
Cette jeune candidate, que nous avons eu chez nous, nous a expliqué ne pas avoir voulu rester dans ce grand groupe car ça n’avançait à rien : quatre réunions à six personnes pour choisir de mettre quatre ou cinq produits sur une photo de packaging. Puis à la réunion suivante quatre personnes, puis à celle d’après cinq, etc. À chaque fin de réunion, un chef était content de l’avancée. C’était visiblement le seul, ça « gavait » tout le monde, mais comme le lui ont dit les plus anciens… Ça a toujours été comme ça !
Résultat ? La personne à préféré fuir ce type d’organisation pour se diriger vers une autre qui correspondait mieux à ses valeurs !
Valeur d’exemple ?
Que dire de ce cadre à côté de qui j’étais installé au premier rang d’un amphithéâtre lors du séminaire annuel d’un grand groupe bancaire ? Toute la matinée sur sa tablette, à relever le compteur par mail, mais surtout… À jouer à Candy Crush. Une grande partie des équipes était derrière, avec vue plongeante sur son écran.
Imaginez ma surprise lorsqu’on m’a expliqué qu’il était membre du CODIR de la banque ! Quelle belle image du management à l’ancienne…
Des exemples, chacun peut en avoir dans son entourage, car ils sont nombreux.
Le management en France n’est pas très bon. Pourquoi plus chez nous qu’ailleurs ? Je ne sais pas vraiment, je ne vois que quelques explications qui n’engagent que moi.
Les problématiques du management en France
Très souvent dans les groupes, on a proposé aux meilleurs techniciens dans leur domaine de devenir manager. Ce qui est une erreur. D’abord, on perd le meilleur opérationnel et on ne récupère pas forcément un bon manager (syndrome de Peter).
Cette vision de l’évolution de carrière verticale n’est pas la bonne. On imagine qu’il faut absolument monter pour se voir augmenté. Pourquoi est-ce une fin en soi pour tout le monde ? Juste pour le salaire ? Mais ce point ne peut-il pas être géré différemment ? Et pourquoi un excellent élément opérationnel aurait mécaniquement moins qu’un « p’tit chef » ?
À mon sens, il y a trop de peu de mobilité dans le management. Les organisations l’imposent à leurs collaborateurs, mais pas aux encadrants. Personnellement, j’ai connu des dirigeants qui me rappelaient l’importance de bouger, ce que j’ai fait consciencieusement tous les quatre ans. Ça m’a fait le plus grand bien, je me suis remobilisé et j’ai appris de nouvelles choses, alors qu’eux n’ont bougé que d’un mètre carré, correspondant au rayon de leur siège ???? Quel exemple !
Or, je crois beaucoup au management par l’exemple. On ne peut pas exiger des autres ce que l’on n’est pas capable d’assumer soi-même.
C’est très puissant : d’abord, ça cadre nos propres demandes et exigences, on ne demande pas quelque chose que l’on n’accepterait pas soi-même, et donc ça nous rend plus tolérant. Mais surtout, les équipes acceptent beaucoup mieux les demandes, car elles savent que l’on s’impose cela.
Les attentes de la nouvelle génération
La nouvelle génération montre l’exemple aux plus anciens car elle recherche du sens dans son travail, elle se demande sans cesse : « à quoi sert mon job? »
Elle veut de la reconnaissance, des feed backs, qu’on lui dise quand ça marche bien mais aussi quand ça marche moins bien, et pourquoi. Pour les jeunes, c’est un élément-clé de l’amélioration. Mais pour ça, il faut prendre le temps d’échanger sincèrement avec eux, pas « vite fait ».
Or, souvent dans les groupes, le temps de management a été remplacé par du temps de réunion, et les managers expliquent qu’ils n’ont pas le temps. En fait ce n’est pas ça. Ils ne sont pas très à l’aise pour le faire et pas prêts à entendre des choses pas toujours agréables de la part de leur équipe.
Les réunions sont dans ce cas un excellent prétexte pour expliquer qu’avec leur planning de folie, ils n’ont pas le temps a consacrer a leurs équipes !
Les seuls entretiens honorés seront ceux obligatoires par la DG, on coche les cases des entretiens obligatoires, comme on remplierait un formulaire administratif. Un effet dévastateur qui prouve bien le peu d’importance de l’équipe aux yeux du manager !
Et si en plus le discours du dirigeant est totalement différent de ce que vivent les salariés au quotidien avec leurs managers…
Ajoutez à tout cela un pilotage avec les yeux rivés tous les jours sur le cours de la Bourse, sans le moindre partage de valeur créée, et vous avez le cocktail fatal pour que les gens soient dans le mal-être dans leur job ! Par exemple Apple et ses 60 milliards de profits en 2019, mais qui ne verse pas une seule prime à ses salariés français… Je trouve ça totalement anormal !
Le baby foot ou le happiness manager ne pourront rien y faire, le mal est bien plus profond que ça.
Un sacré défi à relever pour les grands groupes
Les grands groupes ont tous conscience des défis à relever, mais connaissent aussi les difficultés du chantier pour que leur fonctionnement soit plus agile.
Pas étonnant du coup de constater que beaucoup de jeunes diplômés privilégient aujourd’hui les PME pour leur carrière, car ils pourront directement influer la stratégie de l’entreprise avec des réponses claires et rapides, et constater immédiatement le fruit de leurs actions.
L’entreprise est un lieu social, on y passe tellement de temps, elle doit contribuer à l’épanouissement de chacun d’entre nous.
N’hésitez pas à me faire part de votre ressenti, j’apprécie la richesse de nos échanges ! 😉