Arrêtez de confondre les vrais entrepreneurs et les dirigeants du CAC40

Trop souvent dans les médias et dans la bouche des Français, nous assistons à un amalgame qui met dans le même panier toutes les entreprises. Elles font toutes des profits, elles sont aidées et tout est fait pour elles.

J’en ai assez de ces affirmations qui sont faites sans aucune distinction alors que « toutes » les entreprises sont loin d’être comparables.

Les PME et ETI : la question Française

Le tissu économique français est très hétéroclite et composé de :

  • 287 grandes entreprises,
  • 3.6 millions de TPE (très petites entreprises),
  • 140 000 PME (petites et moyennes entreprise)
  • 5 800 ETI (entreprises de taille intermédiaire),

Ce qui est bien inférieur d’ailleurs pour cette dernière catégorie à l’Allemagne qui en compte 13 000 ou le Royaume Uni et l’Italie qui en ont environ 10 000. On peut faire le même constat au niveau des PME car l’Allemagne en compte plus de 400 000 et qui sont presque toutes exportatrices.

Parmi les explications qui ressortent pour expliquer le faible nombre d’ETI il y a très souvent la fiscalité du capital : les droits de succession élevés en France imposent aux héritiers de devoir vendre l’entreprise pour honorer les frais. Dans le meilleur des cas, la vente contribue à renforcer d’autres entreprises, mais parfois cela conduit à des restructurations ou à des fermetures.

Il y a des exemples connus de tous, comme Salomon ou Rossignol, deux entreprises qui ont été vendues car les dirigeants n’ont pas réussi à transmettre ou conserver leurs parts.

Mais cela ne peut pas être la seule raison qui explique le faible nombre de PME et d’ETI !

Pourquoi comparer ce qui n’est pas comparable ?

La vie d’un dirigeant d’une entreprise du CAC 40 ne peut être comparée à celle d’un patron de PME qui a souvent créé son entreprise à force de courage, de nuits blanches, bien souvent au détriment de sa vie personnelle et parfois avec une certaine inconscience.

Il a pris des risques importants en apportant l’argent qu’il avait, en empruntant parfois auprès de ses proches et toujours auprès d’une banque.

De près ou de loin, il a embarqué sa famille dans son projet, mobilisant tout son entourage en partageant tous ses projets, ses envies, mais aussi ses craintes et ses difficultés.

Les sacrifices sont énormes et la vie de famille est bien souvent mise entre parenthèse : peu de disponibilité pour les enfants, le conjoint ou la conjointe, les parents ou les ami·es. Son projet passe avant tout car il veut réussir plus que tout.


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Au quotidien, pour commencer il est obligé de tout faire : penser à son produit/service, au marketing de son offre, trouver des clients mais aussi faire les démarches administratives.

Au 1er euro de chiffre d’affaires, il découvre concrètement ce que cotiser veut dire et doit apporter sa contribution à l’État par les différentes taxes qu’il devra honorer avant même de toucher un 1er euro de salaire.

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Mais il n’a plus le choix car il s’est lancé et son projet doit fonctionner sans quoi il perdra tout ce qu’il a investi, y compris ses biens personnels.

Très rapidement il devra embaucher et créer ses 1er emplois, et se rendra compte que pour que ses salariés puissent toucher 1 €, il devra en payer 2. Les versements Urssaf, la TVA, les fournisseurs, les salaires etc. vont bientôt jalonner son calendrier mensuel et lui apprendre à jongler…

Ce jonglage avec la trésorerie, tous les patrons de PME le connaissent par cœur. Un terme que beaucoup de français entendent, mais que peu comprennent. Ce n’est pas parce que l’entreprise fait du chiffre qu’elle a l’argent sur son compte pour payer ses factures.

Elle a souvent son BFR, le besoin en fonds de roulement, à financer. C’est le montant nécessaire pour payer les factures le temps que l’argent que les clients doivent arrive sur son compte. Et oui, tous les clients ne payent pas quand on leur envoie une facture, ils attendent d’être relancés car eux-mêmes veulent gérer leur trésorerie.

Du coup notre patron de PME se rajoute une petite mission, comme s’il en manquait 🙂

Et pour couronner le tout, il ne pourra se rémunérer qu’une fois son résultat connu et selon les performances de son entreprise. Mais pour tenir dans la durée, il devra laisser une grosse partie dans l’entreprise pour renforcer ses fonds propres et lui permettre de gagner en souplesse de trésorerie ou en capacité d’investissements pour construire le futur.

En résumé, il a bossé comme un fou, fait une grosse partie des tâches de l’entreprise, celles qu’il apprécie mais aussi beaucoup de tâches qu’il n’aime pas. Il a payé ses taxes, ses employés et ses fournisseurs et ne pourra se payer que si l’entreprise le lui permet avec en plus le besoin de renforcer les fonds de l’entreprise.

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Une préoccupation constante

Notre entrepreneur donnera toute son énergie du matin au soir, et pensera à son entreprise H24, 365 jours par an. Il vit avec pour le meilleur et pour le pire. Elle prend toutes ses pensées, toute son énergie.

Il est heureux de la voir grandir mais a souvent la trouille car elle lui fait prendre de nouveaux risques de plus en plus gros.

Il va devoir embaucher et est heureux de le faire, mais a peur de devoir gérer plus de monde. Certes, avoir une équipe est positif et les grandes joies viennent souvent de là : il espère d’ailleurs pouvoir trouver des piliers qui le soulageront de certaines tâches. Mais il sait aussi que ce faisant, il s’expose à de nouveaux soucis : l’humain.

Choisir les bons collaborateurs sans être totalement à l’abri non plus et gérer ensuite les questionnements, les états d’âme, les exigences… Est-il bien armé ? Il ne peut pas le savoir : comme tout le reste, il va le découvrir et faire de son mieux.

Avoir une responsabilité vis-à-vis des collaborateurs

L’entrepreneur apprendra aussi à assumer ses décisions en face de ses équipes. Il ne peut pas se cacher ou expliquer que ce n’est pas lui : c’est lui le responsable de toutes les décisions de l’entreprise, il doit les assumer et les expliquer en permanence pour qu’elles soient bien comprises.

Au fil du temps, si tout se passe bien, il va découvrir l’un des plus grands plaisirs du métier : vivre avec son équipe. Il y aura des moments de souffrance, des moments d’adversité, mais quels moments de choix ! Partager ses joies, ses bonheurs, se mobiliser tous ensemble vers un seul et même objectif : la réussite du projet collectif, l’entreprise.

Chacun va donner de son énergie pour bâtir un projet encore plus beau que ne l’imaginait son patron, chacun va donner ce qu’il peut pour le succès. Et tout ces moments qui donnent du sens à tous les dirigeants : voir évoluer ses équipes, grandir, prendre de nouvelles responsabilités, s’épanouir sur des missions. Mais aussi partager des temps forts avec son équipe, des cafés, des déjeuners, des soirées, devenir le confident parfois sur des histoires de familles, être le premier à être informé de bonnes nouvelles, entendre que la famille va s’agrandir, qu’ils vont investir dans l’immobilier pour fonder leur foyer, etc.

Autant de moments magiques qui donnent du sens à chaque patron de PME et qui créent un lien fort entre le dirigeant et ses équipes. Ils vivent leur aventure professionnelle ensemble.

Le patron de PME rêve de vivre ces moments là et fait tout pour les voir se réaliser, mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas.

Il sait aussi qu’en cas de difficultés, il sera bien seul. J’ai eu l’occasion d’échanger longuement avec un ami qui a dû liquider son entreprise, qui a vécu ce moment avec une grande douleur. Associé majoritaire, quand les affaires ont commencé à mal tourner, chacun lui a reproché la situation, pourtant validée par tous. Chacun à son tour a préféré quitter le navire, précipitant ainsi la chute.

Il s’est retrouvé seul à assumer la fin, jusqu’aux dernières démarches. Il a liquidé et s’est retrouvé au RSA puisque les patrons cotisent à l’Urssaf mais ne touchent pas le chômage. Belle égalité entre les concitoyens, que beaucoup ignorent pourtant.

Il y est resté quelques mois, car cette histoire l’a tellement affecté qu’il n’était plus en mesure de travailler.

Il est ensuite entré dans la spirale des 3D :

  • Dépôt de bilan
  • Dépression
  • Divorce.

Et le patron du CAC 40 ?

La vie d’un dirigeant du CAC 40 est incomparable.

En premier lieu, il est de formation supérieure et chassé par des Conseils d’Administration qui recherchent un champion à même de défendre les intérêts des actionnaires pour augmenter leurs dividendes. Il est dans une entreprise, et demain sera approché par une autre vers laquelle il se tournera.

Il sait qu’il ne sera que de passage dans l’entreprise, c’est un homme de mission. Et comme on le réclame pour une mission, il négocie le tarif de cette mission. Un bon fixe, un bon variable sur les résultats (financiers, toujours), ses conditions de travail, souvent son équipe et même sa sortie.

Il aura des collaborateurs pour le business, pour les produits, le marketing, payer les fournisseurs et même discuter avec les salariés. Mais bien souvent, il ne va pas trop les connaître, d’abord parce qu’ils sont très nombreux, mais surtout pour ne pas s’y attacher car il est plus simple de prendre des décisions sans affect.

Un dirigeant du CAC 40 ne sera pas les deux mains dans le cambouis comme le patron de PME, à jongler avec la trésorerie. Il ne vivra pas les moments de vie de son équipe, ni les joies, ni les peines.

Collaboratrice de Mediaveille devant son pc

Son seul objectif ? Répondre aux attentes des actionnaires, les yeux rivés sur le cours de la Bourse. Plus il annoncera des décisions difficiles socialement, plus le cours connaîtra des hausses. Super ça donne envie 😐

D’ailleurs, si le cours monte, il touchera de fabuleux bonus. Et si ça ne marche pas, il sera remercié, touchera son parachute doré et aura même le droit au chômage, lui.

Cherchez l’erreur !

Le patron du CAC 40 n’est pas pour moi un entrepreneur. Il n’a pas mis un centime de sa poche dans l’entreprise, a tout fait pour la faire “cracher” à court terme, le temps de son passage. Peu importe le long terme, il n’est que de passage. Quant à l’humain, ce n’est pas son sujet, ce n’était pas sa mission, il est trop respectueux de la confiance qui lui accordent ses actionnaires.

Alors de grâce, apprenons tous à faire la différence entre un patron de PME et le cadre dirigeant du CAC. Nous, patrons de PME, nous ne voulons pas être comparés à des personnes qui n’ont rien à voir avec nous.

Savoir faire la différence aiderait à comprendre la vraie vie d’un patron, il y aurait peut-être un peu moins de fantasmes et on aurait davantage d’énergie pour améliorer nos entreprises et les développer pour le long terme.

Merci.

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Article écrit par

Olivier Méril

La stratégie digitale est un univers passionnant à explorer et encore plus à partager. Avec mes collaborateurs, nous avons à coeur de vous communiquer notre expérience et notre savoir-faire.

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