Les « P’tits chefs » dans les grands groupes, la misère pour les équipes !
Le digital bouleverse les habitudes des consommateurs mais aussi, par conséquent, celles des collaborateurs.
Alors que les générations précédentes n’ont souvent eu qu’un but pendant des années, faire toute leur carrière dans la même entreprise, les nouvelles générations veulent vivre une expérience. Et quand ça ne va pas ou plus, elles changent de job. Ainsi, elles inspirent les quadras et modifient leur regard sur leurs attentes et objectifs professionnels.
Je suis impressionné par le nombre de candidats que nous avons ayant franchi le cap de la quarantaine et qui recherchent… du sens dans leur travail. Pourquoi ? Car ils l’ont perdu au fil des années, et ne savent plus pourquoi ils se lèvent le matin, ce qui les motive.
Ces personnes ont souvent des profils de qualité et des expériences très riches, mais ont le sentiment que leur potentiel n’est pas ou plus exploité.
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Leur mal-être provient de 4 grandes sources :
La problématique du client est bien loin
Dans beaucoup de grands groupes, il y a longtemps que la problématique du client s’est éloignée des actions quotidiennes, et pourtant le discours « service client » est omniprésent. C’est aussi ce décalage entre le discours et la réalité qui fait perdre la « croyance » aux collaborateurs les plus motivés. Il n’y a qu’à parcourir les informations économiques ou écouter les grandes lignes des plans stratégiques : les objectifs se résument trop souvent à l’évolution du cours de la bourse, le niveau des dividendes pour les actionnaires, le montant des résultats, le % de résultat sur le CA.
Comment peut-on penser aux attentes des clients et améliorer son expérience quand tous les indicateurs de pilotage portent sur des éléments économiques ?
La satisfaction devrait être un moyen pour améliorer les résultats, mais pas l’inverse !
Une absence de reconnaissance
Les collaborateurs ne se sentent pas reconnus, ne sont que des « salariés » voire, dans certaines entreprises, des « pions ». Ils ne sont souvent réduits qu’à des rôles d’exécutants et ne contribuent pas aux projets de l’entreprise, car leur avis est trop rarement sollicité et quand il l’est, les dés sont déjà jetés, rien ne changera.
Les entretiens annuels devraient être un des moments forts de l’échange, en permettant de faire des feed back intéressants dans les deux sens, mais se résument souvent au remplissage d’une grille par le N+1. On ne dit pas trop que l’on est content de son travail, au risque de devoir verser une prime ou une augmentation, mais on n’évoque pas non plus les points d’amélioration pour le futur au risque de partir dans des discussions moins policées. Il y a souvent un mot d’ordre : pas de vague. Mais de ce fait, que les collaborateurs travaillent bien ou moins bien, il n’y pas ou peu de différence de reconnaissance salariale.
Le collaborateur a le sentiment que les choses sont faites et que rien ne changera véritablement son destin. Il est aussi souvent confronté « au petit chef », son N+1 qui réservera ses arguments auprès de la direction pour défendre… ses propres intérêts 😐 (je vous en dis plus sur ces managers en point 4).
Un décalage avec les valeurs
Les grandes tendances du moment sont d’afficher des valeurs, et chacun y va des adjectifs les plus élogieux pour résumer les valeurs de l’entreprise. La bienveillance en est devenu l’exemple le plus caricatural. Il y a mon sens deux types d’entreprises sur ce sujet : celles qui ont une démarche sincère et les« opportunistes ».
Les premières sont habitées par ces valeurs, que les collaborateurs vivent au quotidien. Mais d’autres sont confrontées au management intermédiaire. Leur organisation est tellement pyramidale, il y a tellement d’échelons entre la direction générale et le collaborateur, que l’écart peut être énorme entre ce qui est annoncé dans les grandes lignes stratégiques et ce qui est vécu au quotidien par les salariés. C’est un enjeu important pour ces entreprises, car le moindre écart peut être totalement dévastateur et démobilisateur pour le collaborateur. Il en va de la confiance qu’il va accorder à son employeur : si elle est rompue, inutile d’imaginer les conséquences sur toutes les autres décisions.
Quant à la deuxième catégorie d’entreprises, celles que je qualifie « d’opportunistes », elles jouent avec le feu. À quoi bon afficher de belles valeurs si cela ne correspond à aucune réalité dans l’entreprise ? Pour surfer sur le phénomène de mode ? Faire comme les autres ? Attirer des talents ? C’est juste prendre ses salariés et candidats pour des imbéciles et sous-estimer leur capacité à réagir en décidant d’aller voir ailleurs.
Les « p’tits chefs »
Je leur réserve un chapitre spécifique, car c’est pour moi le principal mal des entreprises et la difficulté majeure que peuvent rencontrer les dirigeants.
Alors qu’ils devraient être les relais de la stratégie de l’entreprise et des capteurs pour faire remonter des besoins du marché ou des équipes, ils deviennent trop souvent les principaux freins au développement de l’entreprise. Ils devraient être des « courroies d’accélération », mais sont souvent des « câbles de freins » ! Certains ont gagné leurs jalons grâce à leur ancienneté, d’autres grâce à une démarche de « fayot » avec la DG, certains par la technique du « croche-pied », d’autres encore en ayant la meilleure compétence technique sur le sujet, mais sans être naturellement managers ou formés à l’être, et puis enfin ceux qui méritent leur poste grâce à leur travail et leur leadership naturel.
La difficulté, pour un collaborateur qui dépend d’une personne qui ne devrait pas (ou plus) être à son poste, va être de trouver une source d’épanouissement ou de motivation tout en ressentant au minimum un sentiment d’injustice permanent (pourquoi je travaille pour cette personne ?) ou de nombreux autres sentiments désagréables. Ces personnes qui ne devraient pas ou plus être dans ces fonctions en ont parfaitement conscience dans leur for intérieur. Mais, et c’est naturel, elles sont attachées à la reconnaissance (le regard des autres) et au bulletin de salaire qui va avec. Ces deux éléments compensent souvent leur mal-être profond (la mauvaise conscience), les faisant donc « s’accrocher » au maximum à leur place.
Et c’est là souvent que les choses se compliquent pour les collaborateurs. Un tel manager ne veut pas faire de vagues, au risque de se retrouver en danger, donc pas d’histoires, peu d’initiatives car il faudrait rendre des comptes, pas de défense de son équipe, car ça l’exposerait trop (il préfère garder les arguments pour défendre son propre compte), et peu de valorisation du travail, car on ne sait jamais, un des sien pourrait évoluer dans le groupe et lui faire de l’ombre demain. Alors souvent il se transforme en « p’tit chef». Peu de place pour le dialogue, c’est lui qui décide, c’est normal, c’est lui le chef 😉 et il aime bien rajouter des tâches que personne ne lui demande pour exister et montrer sa puissance.
- Qui ne connaît pas dans les grands groupes les tableaux à remplir, dont on a aucune nouvelle ensuite ni en bien, ni en mal ?
- Qui n’ a jamais eu des demandes à traiter en extrême urgence et qui sont finalement restées sans réponses ?
- Qui ne subit pas des niveaux d’exigences très fort, mais ne ressent pas la même chose de son N+1 ?
Valoriser les talents et éviter la frustration
J’étais estomaqué la semaine dernière quand une amie me racontait son quotidien dans une grande compagnie d’assurances aux valeurs affichées fantastiques. On leur parle client du matin au soir, mais ce qu’on leur demande réellement c’est : « alors tu en as fourgué pour combien ? ». Même quand une personne âgée vient pour un renseignement sur son contrat, elle doit repartir avec un contrat supplémentaire (un contrat qui fait partie des objectifs du mois, pas qui correspond aux besoins du client 😉 ).
On leur explique que le client a toujours raison, et il a tellement raison que s’il insulte, voire menace, c’est de la faute du collaborateur. Pourtant, il y a bien un formulaire pour déclarer ce genre d’incident, mais les réponses sont toujours les mêmes : « le client doit avoir de bonnes raisons, on n’a pas dû être suffisamment clair ». Et maintenant, c’est le nouveau p’tit chef qui ne joue plus son rôle, il refuse de faire ce type de remontée au siège : évidemment, ça joue sur sa notation individuelle, donc il préfère mettre la poussière sous le tapis.
Nouveau chef, nouvelle pratique : il est maintenant demandé, en plus du CRM où doivent être reportées toutes les propositions faites aux clients qui ont franchi la porte, de compléter un joli petit tableau en mettant des bâtons dans les cases correspondant aux contrats proposés. Comme l’a fait remonter l’équipe au nouveau chef, ça fait doublon avec le CRM : « peut-être, mais c’est ma méthode ! »
Cette amie a été réfractaire à ce nouveau tableau, ce qui a été l’occasion de geler sa situation salariale pour 2019, malgré le fait qu’elle ait réalisé sa meilleure année en 2018. Elle a donc fini par le remplir.
Comment un collaborateur peut-il vivre ce genre de situation ? Je ne sais pas, mais je suis certain que les choses vont évoluer rapidement, car on développe un sentiment de frustration, voire d’injustice.
Les nouvelles générations n’accepteront plus ces situations : elles quitteront rapidement le navire à la recherche d’entreprises plus respectueuses de leur travail et en mesure de leur apporter de la reconnaissance.
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Et pour la génération des quadras, le phénomène se développe : il leur reste la moitié de leur carrière, leur vie est globalement lancée, ils aspirent à s’épanouir professionnellement, quitte à gagner moins mais en retrouvant du sens dans leurs missions, du plaisir au travail et une nouvelle motivation pour se lever le matin.
Quand on parle de transformation des entreprises, voici selon moi un axe essentiel que les grands groupes doivent travailler en priorité, sans quoi, ils garderont leurs p’tits chefs mais perdront les talents qui font avancer l’entreprise, pour le plus grand plaisir des PME 🙂
Merci à tous pour vos commentaires, vos témoignages. N’hésitez pas à me faire part (en MP) de vos expériences heureuses ou moins, ce sont les échanges qui nous nourrissent au quotidien.